Un de mes lecteurs, Chris Red, m’a contacté par mail. On a discuté un peu et sympathisé. Il m’a dit être auteur (notamment de la SF) et avoir publié plusieurs nouvelles sur Wattpad. « Le Billet magique » est la dernière en date. C’est son premier texte avec un héros LGBT. Elle est parue en janvier 2024 et traite du coming-out d’une façon originale, avec une écriture fluide et agréable. Je me suis pas mal reconnu dans ce que vit le personnage 😅 Peut-être que ce sera votre cas aussi ?

Avec l’accord de Chris, je partage ici sa nouvelle dans son intégralité et je vous mets aussi le lien vers sa page Wattpad si vous voulez découvrir ses autres textes.


Le Billet magique

Assis à sa place, le visage collé à la vitre, le passager observait le paysage qui évoluait pendant que le train fonçait à toute allure. Insensible aux désirs personnels de ses occupants, l’engin suivait la piste tracée dans la neige. Justin observait le lac gelé en contrebas. L’étendue d’eau prisonnière entre plusieurs versants montagneux bordait une cité qui apparaissait désormais au loin. Des lumières chaudes témoignaient de la présence de nombreuses d’habitations, serrées les unes contre les autres, réparties sur plusieurs étages.

Le jeune homme soupira. Il pensait être arrivé à destination.

Soudain, une voix féminine résonna dans le transistor.

— Nous amorçons la descente vers le prochain arrêt, Hétéroville. Veuillez préparer vos billets et vous rapprocher des portes où les contrôleurs vont procéder à leur vérification. Le prochain arrêt, le terminus du train, sera à Homoville. Si vous avez un billet pour cette ville, veuillez rester assis et attendez votre tour. Merci pour votre compréhension.

Sûr de lui, Justin ne prit pas la peine de vérifier le billet qu’il avait acheté en station. Ainsi, il se leva, tous comme les trois autres personnes présentes dans son compartiment, récupéra son bagage et aida la jeune femme assise à côté de lui à prendre le sien. Excité à l’idée d’arriver enfin à Hétéroville, il ne remarqua pas l’étonnement dans son regard. Elle était persuadée qu’il allait à Homoville. Parfois, les apparences sont trompeuses, se dit-elle. Mais bon cela lui importait peu. Ainsi, elle le remercia, lui offrit un sourire aimable et lui tourna le dos. Elle avait le temps de trouver son bonheur en ville, elle n’était pas pressée.

Enthousiaste, Justin suivit le rythme imposé par les passagers qui sortaient en même temps que lui. Il sortit son billet, le tint devant lui mais ne le vérifia pas. Lorsque ce fut son tour, le contrôleur jeta un coup d’œil distrait sur son billet et refusa de le prendre. Les couleurs de l’arc-en-ciel dessinées dessus indiquaient une autre destination qu’Hétéroville.

— Veuillez attendre votre tour, Monsieur.

Interloqué, Justin se figea.

La deuxième contrôleuse remarqua son trouble.

— Vous possédez un billet pour Homoville.

Ses yeux s’arrondirent, et la voyageuse qu’il avait aidée à récupérer sa valise se retourna. Ah, je le savais bien qu’il n’était pas hétéro, pensa-t-elle avant de disparaître sur le quai de la gare d’Hétéroville.

Alors, lentement, Justin baissa les yeux et regarda son billet.

Embarrassé, il constatait effectivement que les contrôleurs disaient vrai.

— Non, ce n’est pas possible. Il y a un problème. Quand j’étais en gare, que j’ai pris le billet, il y avait écrit Hétéroville, le billet était comme ça quand il est sorti de l’appareil, dit-il en désignant celui d’un autre passager.

— Il n’y a pas de problème, Monsieur. La machine ne se trompe jamais, rétorqua le contrôleur, légèrement agacé, tout en continuant de contrôler les billets des autres voyageurs.

— Le billet a changé, il n’était pas comme ça quand je l’ai pris…

— Les billets ne changent pas, répondit la contrôleuse à voix basse.

— Mais je vous jure que…

Le contrôleur décida de mettre fin à cette conversation.

— Permettez, dit-il.

Il prit le billet de Justin, le tendit à une voyageuse et échangea les billets. La voyageuse sursauta, elle ne voulait pas de billet pour Homoville. Mais la magie opéra. Le billet à destination d’Hétéroville se transforma dans les mains de Justin quand celui à destination d’Homoville changea également dans celles de la voyageuse.

— Vous voyez. La magie opère quand le billet se trouve entre les mains de la personne. Vous êtes censé aller à Homoville, nous n’y pouvons rien. Madame, reprit-il en se tournant vers la voyageuse, Hétéroville vous attend.

Soulagée, celle-ci acquiesça.

Bouche bée, Justin fixa son billet.

— Croyez-moi, c’est mieux pour vous. Vous seriez malheureux à Hétéroville, on a eu des fraudeurs, et ils l’ont tous mal vécu, cela vaut dans le sens inverse également d’ailleurs, un hétérosexuel à Homoville le vit très mal. Vous pourriez être victime de troubles, éprouver des crises dépressives assez intenses, mieux vaut exprimer votre nature intérieure. Maintenant, si vous permettez.

Encore étourdi par la révélation, Justin lutta pour lui faire entendre raison.

— Peut-être que je peux retourner en gare et procéder à un échange ?

La contrôleuse sentit que son collègue allait s’énerver, alors elle le prit par l’épaule, l’éloigna du flot de passagers qui arrivaient et le poussa dans un compartiment vide.

— Écoutez, Monsieur, ces billets sont magiques, ils ne sont ni échangeables, ni remboursables. Ce sont des allers simples, il n’y a pas de retour possible, c’est définitif à partir du moment où vous l’avez composté en gare. Et entre nous, vous vous rendriez vingt fois en gare, vingt fois vous auriez le même billet. Il faut l’accepter. Vous verrez, Homoville est très plaisant, vous avez peur, mais vous allez vous y plaire. Vous y serez heureux, vous rencontrerez un homme comme vous et puis vous tomberez amoureux. D’accord ? conclut-elle, espérant qu’il allait accepter la réalité.

— Je…

Il essaya une dernière fois de secouer le billet et de le transformer, mais rien ne se produisit.

— Allez, faites confiance à la magie.

— Homoville est loin ?

— Non, lui répondit-elle avec un sourire bienveillant. Dans vingt minutes, vous y serez. Vous verrez, vous ne serez pas seul.

— C’est sûr ? Peut-être qu’il y a une erreur ?

— Non, il n’y a pas d’erreur, c’est votre destination.

Elle posa une main sur son bras, attira son attention. Leurs yeux se rencontrèrent.

— Et vous le savez, j’en suis certaine.

Puis, elle retira sa main.

Le regard figé sur son billet, il ne la vit pas sortir. Discrète, elle le laissa se rendre compte par lui-même de son identité sexuelle. L’acceptation de sa différence, de son homosexualité notamment, pouvait prendre des années pour beaucoup de personnes, que ce soit pour des femmes comme des hommes. Ce n’était pas le premier passager qu’elle voyait en proie au doute. L’incompréhension les incitait souvent à générer inconsciemment une stratégie de fuite en direction de la ville voisine.

Ce n’est pas possible, pensa-t-il. Pourquoi ne l’ai-je pas vu venir ?

Comme pour vérifier que c’était vrai, il essaya d’imaginer un homme, il alla vers lui, celui-ci le prit dans ses bras, leurs bouches se rencontrèrent et leurs mains commencèrent à se caresser mutuellement.

Une chaleur se diffusa dans son bas-ventre, spontanée, naturelle et incontrôlable.

Mince, ce serait donc vrai ? Je vais vivre à Homoville ?

Enfin, il s’installa sur le siège le plus proche.

Malgré tout, il continua de fixer son billet, espérant un changement de dernière minute. Mais celui-ci ne s’opéra pas. Une voix féminine parla mais il ne l’entendit pas. Elle annonçait la fin du débarquement des voyageurs à destination d’Hétéroville et l’imminence du départ du train pour Homoville.

Une trentaine de secondes plus tard, le train démarrait de nouveau. Il quittait la gare d’Hétéroville. Progressivement, il accélérait. Justin entendait le roulis continuel des wagons et il se rendait compte que c’était inéluctable.

Maintenant qu’il y repensait… Sa façon de baisser les yeux quand il discutait avec certains hommes, craignant de dévoiler dans son regard un début d’attirance, sa peur de valoriser l’anatomie masculine, sa tendance à se confier à des femmes, la jalousie refoulée qu’il ressentait parfois à l’égard des petites copines de ses amis hétérosexuels, la liste des indices qui auraient dû l’alerter était longue. La vérité était en lui, il la connaissait.

Insensible aux différentes sources de bruit, il se rappela la réalité du moment présent.

Ma valise !

Aussitôt, il se leva et rangea son billet dans la poche arrière de son pantalon, puis il sortit du compartiment. Dans la foulée, il croisa le tandem de contrôleurs. Imperturbable et guère aimable, l’homme l’ignora. En revanche, la femme le dévisagea, espérant qu’il digérait la révélation sur sa propre personne. Reconnaissant, Justin lui adressa un sourire pour exprimer sa gratitude. Il aurait aimé en dire davantage mais il n’avait pas encore les mots pour manifester sa reconnaissance. Compréhensive, elle acquiesça.

Puis, il aperçut la valise, il alla la récupérer et retourna dans son compartiment d’origine. Il la rangea et décida de sortir, de marcher un peu dans le couloir. Il en avait besoin pour digérer le choc émotionnel. Jusqu’au dernier moment, il avait sincèrement cru que son destin allait le guider à Hétéroville. Tranquillement, les mains dans les poches, comme soulagé d’un poids, il se dirigea vers le fond du wagon, et il se mit de nouveau à observer le paysage par une vitre.

Plus que le nom de la ville vers laquelle il se dirigeait, il s’inquiétait des conséquences de ce choix sur sa vie sentimentale.

Soudain, il sentit une présence dans son dos et il se retourna.

Un bel homme se tenait dans son dos. Des yeux gris-bleu le dévisageaient intensément.

— Je vous ai entendu tout à l’heure, vous pensiez que vous aviez un billet pour Hétéroville.

Gêné, Justin rougit. Un peu parce qu’il était mal à l’aise, et un peu aussi parce qu’il peinait à supporter le regard déstabilisant de ce passager.

— Vous êtes resté dans le train on dirait ?

— Je n’avais pas le choix.

— À cause des contrôleurs ? demanda-t-il.

— Oui, enfin, non. D’abord, oui, mais… Parce que… Ma place est à Homoville.

— Fermez les yeux, lui demanda l’inconnu.

Incertain mais devinant très bien ce qu’il comptait faire, Justin hésita avant d’obéir.

L’homme s’approcha de lui et l’embrassa tendrement. Leurs lèvres se touchèrent, puis leurs langues se mêlèrent l’une à l’autre. Ce contact viril et masculin se différenciait des embrassades qu’il avait échangées avec des femmes. Il ne pouvait pas expliquer pourquoi, ce n’est pas que c’était mieux, il préférait juste ces sensations-là. Il allait poser ses mains sur son torse, se blottir contre lui, mais il sentit l’inconnu éloigner ses lèvres des siennes.

— C’était juste un avant-goût. Voilà ce qui vous attend à Homoville et ça n’a pas l’air de vous déplaire.

Les joues rougies par l’émotion, Justin ne pouvait pas le contredire.

— Dites-le, lui dit-il.

Justin fronça les sourcils, cherchant à comprendre.

— Dites-le, dites que vous êtes homosexuel, dites-le à haute voix. Vous allez voir, ça va vous faire du bien.

Intimidé, Justin hésitait. Mais le regard insistant de ce charmant inconnu l’encourageait à aller au bout de sa démarche.

— Je… Je suis homosexuel.

— Répétez-le. Avec plus de conviction.

— Je suis homosexuel.

— Eh bien, voilà, ce n’était pas si difficile. Maintenant, il faut le vivre.

Soudain, une voix féminine les interrompit.

— Nous approchons de l’entrée en gare du prochain et dernier arrêt, Homoville. Veuillez préparer vos billets et vous rapprocher des portes où les contrôleurs vont procéder à la vérification de vos billets. Nous espérons que vous avez passé un bon séjour en notre compagnie et nous vous souhaitons de vous épanouir dans votre nouvelle ville.

L’inconnu continuait de le fixer.

— Fermez les yeux.

Cette fois-ci, Justin n’hésita pas, espérant un nouveau baiser.

Mais il ne vint pas. Lorsqu’il rouvrit les yeux, l’inconnu n’était plus là.

Le train décélérait. Alors, il soupira, il arrivait à destination.

Il se saisit de son billet et alla récupérer sa valise.

Enfin, il se plaça dans la file d’attente.

Lorsque ce fut son tour, la contrôleuse récupéra son billet.

— Bon séjour, lui souhaita-t-elle.

— Merci, répondit-il en lui souriant.

Et il descendit du train.

Désormais, il lui était impossible de remonter dans le train.

Un homme l’attendait quelque part dans cette jungle urbaine.

Il ne le savait pas, mais il était sur le point de tomber follement amoureux. Le premier serait le dernier. Une fois qu’il aurait consommé l’amour en sa compagnie, Justin ne se soucierait plus du regard des autres. Et il serait libre, à Homoville, mais aussi dans les autres villes de la région.

Il pourrait se balader à Hétéroville sans avoir peur ou honte qu’on sache qu’il vienne d’Homoville.

Son ventre serait libéré de l’angoisse et de la pression qu’il s’infligeait à vouloir être un homme qu’il n’était pas.

Certes, le trac l’empêchait de courir à grandes enjambées vers sa nouvelle résidence. Mais, de voir d’autres passagers marcher dans la même direction que lui le rassurait.

Ainsi, il commença à se détendre et il eut envie de sourire lorsqu’il franchit l’arche aux couleurs de l’arc-en-ciel. Il ne se souciait pas de la neige qui en tombait, saupoudrant au passage les épaules, les bonnets et les capuches des nouveaux arrivants.

C’était fini, ce long processus d’acceptation se terminait.

Justin venait d’arriver chez lui, et il n’en repartirait pas.

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